Interview avec Claude Meisch dans le Lëtzebuerger Journal

"Consolider l'édifice"

Interview: Lëtzebuerger Journal

Lëtzebuerger Journal : Quels sont les enjeux de l'enseignement supérieur au Grand-Duché pour la décennie 2020 ?

Claude Meisch : Après une première phase de développement de l'Université et d'autres institutions, suivie par la refonte de la législation sur l'Université, il nous incombe de consolider l'édifice, avant d'initier les étapes suivantes. Le gouvernement a la volonté de développer le secteur de l'enseignement supérieur, parallèlement à celui de la recherche, et de l'adapter aux besoins du pays. Pour que ces derniers soient comblés, il nous faut recruter et donc, auparavant, former les bons profils. En parallèle, le Luxembourg doit miser sur certains domaines de la recherche, ceci afin de "guider" la société luxembourgeoise dans l'ensemble des problématiques que sont l'économie, le social, l'intégration ou encore la cohésion sociale.

Lëtzebuerger Journal : Vous avez récemment affirmé que la rentrée académique 2019-2020 se faisait, précisément, sous le signe de la consolidation. Qu'entendez-vous concrètement par-là ?

Claude Meisch : Par consolidation, j'entends avant tout une amélioration de la qualité de l'enseignement supérieur. Au-delà de l'enveloppe budgétaire, en hausse, que le gouvernement a décidé d'allouer au ministère, il s'agit surtout d'effectuer une révision des contrats de performance tous les deux ans, au lieu de quatre auparavant, et, si nécessaire, d'accorder des moyens supplémentaires aux institutions concernées.

Lëtzebuerger Journal : Vous évoquez également la mise en place d'une stratégie nationale de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation. Pouvez-vous esquisser les contours de cette stratégie ?

Claude Meisch : Le Conseil de gouvernement a, effectivement, arrêté cette stratégie le 20 décembre dernier. Elle se décline sur trois niveaux. En premier lieu, nous nous sommes attachés aux grands défis sociétaux que le Grand-Duché se doit de relever, à savoir la transition technologique, l'écologie et le social. En deuxième lieu, la stratégie a prévu la définition des domaines de recherche à privilégier. En troisième et dernier lieu, il a été établi d'identifier les projets de recherche concrets à mettre en place. Ainsi, il convient de voir cette stratégie comme un instrument de travail amené à donner une orientation à l'ensemble des acteurs, institutions, Université et centres de recherche publics. En sus, cet instrument servira de base aux publications et au programme du Fonds National de la Recherche.

Lëtzebuerger Journal : Comment assurer la liaison, indispensable, entre les activités d'enseignement et celles de la recherche ?

Claude Meisch : L'enseignement supérieur et la recherche sont étroitement liés, c'est une évidence, ce qui nous conduit à devoir inévitablement bâtir des ponts entre les deux matières. L'Université de Luxembourg possède d'ailleurs ces deux pôles, et je souhaite absolument que cela perdure. Je tiens, d'ailleurs, à souligner que, dans la mesure où de nombreuses évaluations externes de l'Université se sont focalisées sur le volet recherche, la prochaine évaluation de l'Université se concentrera, quant à elle, sur la qualité de l'enseignement délivré.

Lëtzebuerger Journal: Lorsque l'on se penche sur les pôles universitaires dans la Grande Région, à l'instar de Hombourg en Sarre ou de Nancy, on a l'impression que l'écosystème de l'enseignement supérieur et de la recherche au Grand-Duché est moins développé. Impression ou réalité?

Claude Meisch: C'est déjà une réalité, lorsque l'on considère les acteurs que sont, donc, l'Université, mais aussi les centres de recherche publics, qu'il s'agisse du LIST, du USER (Ndlr: le Luxembourg Institute of Socio-Economic Research - ancien CEPS/INSTEAD) ou du Luxembourg Institute of Health (LIH), qui travaillent en étroite collaboration avec la société civile et les entreprises, particulièrement dans le domaine de la recherche technologique. On peut donc même affirmer que l'écosystème de la recherche au Luxembourg a réellement pris forme ces dix dernières années, au point qu'il soit aujourd'hui relativement développé.

Lëtzebuerger Journal: Est-il facile d'attirer des chercheurs au Grand-Duché?

Claude Meisch : C'est faisable, mais cela ne coule pas de source. Il faut pouvoir garantir aux chercheurs une certaine notoriété à l'échelle internationale et faire preuve de bonne gouvernance, tout comme s'assurer que les institutions de recherche soient indépendantes des pouvoirs publics. A côté de cela, il revient de leur conférer des moyens budgétaires sur le long terme, à la hauteur des ambitions nourries, et de soutenir les efforts de collaboration avec les acteurs tiers. "Last but not least", il est indispensable de viser l'excellence, au niveau international comme national.

Lëtzebuerger Journal: "L'excellence au niveau international et national". Pouvez-vous précise r?

Claude Meisch : Je fais toujours la distinction entre la recherche de type international, c'est-à-dire les projets de recherche qui ne sont pas nécessairement en relation avec les besoins du pays mais avec les défis mondiaux que sont la transition technologique, les migrations, l'écologie, etc., et la recherche au niveau national, qui s'attache aux problématiques spécifiques que nous rencontrons au Luxembourg. J'aimerais, à ce titre, souligner que le LCSB (Ndlr: Luxembourg Center for Systems Biomedecine), qui s'est fortement développé ces dernières années, fait un travail remarquable en matière de recherche appliquée, avec, à sa tête, le brillant généticien allemand Rudi Balling.

Lëtzebuerger Journal : Une annonce a également été faite concernant la loi sur l'enseignement supérieur, amenée, elle également, à être révisée. En quoi consiste cette révision ?

Claude Meisch : Il ne faut pas s'attendre à une révolution. Notre ambition est que toute forme d'enseignement supérieur dispensé au Grand-Duché garantisse la même qualité, et ce, quel que soit l'organisme qui délivre l'enseignement, raison pour laquelle la prochaine évaluation de l'Université portera sur la qualité de l'enseignement, comme évoqué. En résumé, il s'agit d'une révision à la hausse des standards de qualité mais également en termes de comparabilité quant à l'offre en enseignement supérieur.

Lëtzebuerger Journal : Le Luxembourg se hisse désormais à la deuxième place en tant que pays d'études préféré des résidents luxembourgeois, derrière l'Allemagne. Comment s'explique cet engouement? Quels sont les obstacles qui subsistent pour les étudiants, d'une part, et l'Université de Luxembourg, d'autre part ?

Claude Meisch : La tendance n'a pas véritablement changé. Beaucoup de jeunes résidents font leurs études ailleurs, tandis que de nombreux jeunes étrangers jettent leur dévolu sur le Luxembourg. Concrètement, les trois quarts des étudiants de l'Université de Luxembourg sont des étudiants étrangers, et les trois quarts des jeunes résidents font leurs études à l'étranger. Un obstacle majeur pour les étudiants étrangers qui souhaitent étudier au Luxembourg demeure, bien évidemment, les prix du logement. C'est la raison pour laquelle nous soutenons tous les projets de logements pour étudiants à Luxembourg-Ville ou à Esch-Belval, afin de permettre aux étudiants étrangers de trouver un toit à un prix abordable.

Lëtzebuerger Journal : La formation continue est aussi une matière de premier ordre dans un pays en perpétuelle transformation économique...

Claude Meisch : Parfaitement, la formation universitaire continue est amenée à jouer un rôle de plus en plus important dans l'économie luxembourgeoise. En effet, il se reproduit avec la digitalisation ce que nous avons connu d'antan avec la robotisation dans l'industrie. La digitalisation a, certes, pour conséquence, de faire disparaître certaines fonctions de support dans le secteur tertiaire, mais elle offre également de nouvelles opportunités, à condition de passer par une mise à niveau voire un recyclage des compétences et connaissances des salariés concernés. C'est particulièrement vrai dans une économie reposant largement sur les services et en transformation permanente. Dans ce cadre, il y a deux pistes à suivre. La première, proposer des formations en vue de décrocher un diplôme supplémentaire afin d'accéder à un autre poste, la deuxième, proposer des formations courtes mais très pointues, en fonction des besoins rencontrés par les salariés occupant un poste bien déterminé.

Lëtzebuerger Journal : Comment renforcer les efforts de promotion du dispositif public d'aide à la formation auprès des petites PME et des TPE ?

Claude Meisch : Nous avons réformé les critères du dispositif de cofinancement en matière de formation professionnelle continue il y a trois ans. Un des principaux objectifs était - et demeure -justement d'encourager les PME à investir davantage dans la formation professionnelle continue de leurs salariés. Ceci étant, nous avons constaté qu'il y a une volonté de la part des PME luxembourgeoises de déployer des efforts et des moyens financiers pour permettre aux employés d'approfondir leurs compétences et connaissances, et que c'était même devenu quelque chose de très normal au niveau de la culture d'entreprise. Au point que certaines entreprises - notamment dans l'artisanat - se sont rassemblées pour créer des centres de formation. On ne peut que s'en féliciter.

Dernière mise à jour