Interview de Claude Meisch avec d’Handwierk

"Formation professionnelle."

Interview : d'Handwierk

D'Handwierk : La réforma de la formation professionnelle vient d'être votée par la Chambre des Députés. Bon nombre des propositions de l'Artisanat ont trouvé satisfaction. Quelles sont dorénavant vos priorités dans ce dossier ?

Claude Meisch : Je pense que nous sommes engagés dans un processus de réforme permanent. Nous serons toujours amenés à réfléchir et à travailler pour améliorer le système, pour le rendre plus efficace et pour l'adapter aux évolutions et aux mentalités. Cette; réflexion et ce travail devront se faire dans un dialogue constructif avec tous les acteurs et partenaires et notamment avec les chambres professionnelles. Par la réforme actuelle, nous avons pu remédier à un certain nombre de lacunes d'ordre technique pour garantir un meilleur fonctionnement dans la pratique, sur le terrain.
Nous avons également introduit plusieurs nouveautés. Permettez-moi d'en citer deux à titre d'illustration : l'évaluation des compétences avec attribution parallèle de notes, la formule de l'apprentissage en cours d'emploi. Dans le futur proche, je tiens à mettre l'accent sur l'adaptation continuelle des contenus des formations, le recours aux méthodes pédagogiques innovantes avec l'utilisation renforcée des solutions multimédia et la prise en compte systématique de l'aspect de la digitalisation des métiers.

D'Handwierk : Une idée appuyée par la Chambre des Métiers est l'apprentissage en cours d'emploi. Où en est le dossier à l'heure actuelle et comptez-vous associer le monde professionnel à la mise en place de la nouvelle formule ?

Claude Meisch :
L'apprentissage est organisé aujourd'hui soit en entreprise avec périodes de formation dans un établissement scolaire, soit à l'école avec stages en entreprise. L'apprentissage en cours d'emploi viendra s'ajouter à ces formes d'organisation et sera une formule alternative s'adressant à un groupe cible spécifique, à savoir les salariés en entreprise qui comptent maintenir la cadence et suivre l'évolution dans leur métier. L'objectif est de permettre à ces salariés de réaliser un "reskilling", c'est-à-dire une mise en adéquation de leurs compétences avec le profil du métier dans lequel ils travaillent et comptent évoluer. La formule sera conçue et réalisée en étroite collaboration avec les chambres professionnelles pour garantir qu'elle sera une réelle "success story" profitant à la fois aux salariés et aux entreprises qui les emploient.

D'Handwierk : Un des problèmes non résolus, selon la Chambre des Métiers, est celui de l'orientation scolaire et professionnelle. Comment comptez-vous convaincre les jeunes et leurs parents d'opter en faveur d'une carrière dans l'Artisanat ?

Claude Meisch : Il s'agit en l'occurrence d'un sujet où il n'y a pas de solution définitive. Les intérêts et les vues des différentes parties concernées sont souvent très divergentes. Il serait illusoire de croire qu'on peut drainer les jeunes dans une certaine direction sur base d'une seule décision politique.
A mon avis, deux choses sont fondamentales. Tout d'abord, il importe de réveiller et de détecter les intérêts et les talents dès le plus jeune âge. Etant donné que beaucoup de jeunes ne sont plus confrontés aux diverses activités, notamment artisanales, dans leur vécu quotidien, il faut activement organiser ces expériences dans le cadre scolaire.
La découverte de différentes activités et métiers leur permettra ensuite de confirmer ou d'infirmer leurs aspirations initiales. Ensuite, deuxième point important à mes yeux, il est indispensable de tracer des perspectives tant scolaires que professionnelles aux jeunes et à leurs parents. Il faut leur expliquer que la formation professionnelle comprend certes l'apprentissage d'un métier mais qu'elle permet également de poursuivre sa formation au-delà du certificat ou diplôme initialement obtenu.

D'Handwierk : L'orientation est souvent ressentie comme une orientation par l'échec ? Que pensez-vous de l'idée de prendre en compte les compétences techniques et manuelles des jeunes au même titre que leurs compétences langagières et mathématiques dans le processus de l'orientation ?

Claude Meisch : Je suis d'avis qu'il faut prendre en considération l'ensemble des compétences dont disposent les jeunes ainsi que l'ensemble de leurs centres d'intérêt.
Les domaines techniques et manuels font partie de ce grand ensemble. Dans ce contexte l' "assessment", c'est-à-dire les tests d'aptitudes que les chambres professionnelles organisent en collaboration avec de nombreux lycées sont à mes yeux une partie intégrante du processus de l'orientation.
Ces tests constituent un complément utile par rapport aux critères d'accès aux différentes qualifications tels qu'ils sont appliqués dans le cadre de l'enseignement scolaire.

D'Handwierk : Le DAP est la formation de référence dans l'Artisanat qui a besoin d'une main-d'œuvre qualifiée et opérationnelle. Pour promouvoir l'attractivité de l'Artisanat, la Chambre des Métiers est en train de construire une "Carrière Artisanat" qui peut mener les candidats les plus doués et les plus motivés au-delà du DAP.
Quelle est votre position dans ce contexte ?

Claude Meisch : À mon avis, il est primordial d'améliorer l'image de marque de la formation professionnelle afin d'y attirer plus de jeunes talents. Je préconise la mise en place d'un véritable "modèle en escalier". Ce modèle devra permettre de viser également des qualifications post-DAP, notamment le Brevet de Maîtrise mais aussi le Diplôme de Technicien, le Brevet de Technicien Supérieur (BTS), voire même le Bachelor. Ceci ne sera certainement pas possible pour toutes les qualifications ni pour tous les jeunes.
Un pas concret dans la direction du désenclavement de la formation professionnelle et de la revalorisation de l'Artisanat est le projet lise-DAP. En permettant de préparer deux diplômes en parallèle, à savoir le DAP et le BAC, cette formule devrait permettre d'intéresser de nouvelles catégories de jeunes à l'apprentissage d'un métier technique et manuel.

D'Handwierk : La formation d'apprentis demande de la part des entreprises un engagement au quotidien. Cependant, les chefs d'entreprise sont nombreux à avoir le sentiment que les efforts déployés ne sont pas reconnus à leur juste valeur. Les comprenez-vous ? Avez-vous des réponses à leur donner ?

Claude Meisch : Je suis parfaitement conscient du fait qu'en formant des jeunes, les entreprises apportent une contribution majeure à la fois au bénéfice des jeunes et au bénéfice du système de l'éducation et de la formation.
Je suis également d'avis que cet engagement profite directement aux entreprises formatrices elles-mêmes.
Devant la pénurie de main-d'œuvre qualifiée que nous connaissons, il ne serait pas prudent de se fier au seul marché du travail de la Grande Région. La formation d'apprentis doit donc également être comprise comme un investissement dont les retombées profitent certes à l'économie et à la société dans leur ensemble mais également et surtout aux entreprises formatrices qui se dotent ainsi de personnel qualifié et d'équipes performantes.

D'Handwierk : L'Artisanat souffre d'une pénurie de main-d'œuvre qualifiée. La raison réside dans l'inadéquation entre l'évolution économique et l'évolution démographique du pays. Si la formation n'est pas le seul responsable de cette situation, elle aura cependant son rôle à jouer. A quelles pistes concrètes pensez-vous ?

Claude Meisch : L'Artisanat n'est pas le seul secteur à éprouver des problèmes à recruter. Tous les secteurs sont concernés par la pénurie de main-d'œuvre, y compris le secteur public. Nous manquons d'enseignants, de policiers, bref, l'Etat également manque de personnel qualifié dans de nombreux domaines. Cela relève du rythme de croissance du pays qui nécessiterait d'augmenter le volume global des personnes actives pour éviter une mise en concurrence des différents secteurs. Nous devons donc obligatoirement arriver à qualifier tout le monde. Cela passe par un meilleur encadrement à la fois scolaire et parascolaire des jeunes qui parfois accusent un déficit en termes de compétences sociales. Ensuite, il faudra diversifier notre offre scolaire pour l'adapter à la réalité de notre société. Ainsi, l'apprentissage d'un métier, ou du moins de certains métiers doit pouvoir se faire en allemand et en français, voire même en anglais.

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