Interview de Claude Meisch avec le Quotidien

"Grâce à cet accord, la rentrée scolaire pourra se dérouler en toute tranquillité (...)"

Interview: Le Quotidien (Claude Damiani)

Le Quotidien: Après cette année scolaire quelque peu mouvementée, avez-vous passé de bonnes vacances?

Claude Meisch: Oui. Je suis parti en famille à divers endroits et j'en ai aussi profité pour faire du sport. J'ai même perdu quelques kilos! Bref, je me suis bien reposé.

Le Quotidien: Êtes-vous parvenu à vous "déconnecter" de votre quotidien de ministre?

Claude Meisch: On ne peut jamais déconnecter complètement en tant que ministre, mais j'ai eu le temps de réfléchir et de me projeter vers l'année scolaire qui se profile. Autant sur les dossiers importants, auxquels je m'attaquerai, que sur le dialogue à entretenir avec les différents partenaires enseignants, parents et élèves. Il s'agira également de voir comment convaincre le public de la politique globale d'éducation qu'il va falloir mener.

Le Quotidien: Avec le recul, comment analysez-vous les derniers mois durant lesquels la situation s'est durcie entre votre ministère et les syndicats?

Claude Meisch: Je constate que nous sommes finalement parvenus à trouver un accord. Celui-ci satisfait le gouvernement, car il lui permettra, durant les prochaines années, d'investir dans la qualité scolaire, tout en réalisant des économies d'un ordre similaire à celles initialement prévues, dans le cadre de son paquet d'avenir. D'un autre côté, les syndicats ont accepté les propositions mises sur la table, parce que le ministère a compris ce qui les gênait. Si je devais avoir un seul regret, c'est que durant toute cette année où le débat était porté sur la place publique, le pays a un peu eu l'impression qu'on ne faisait rien d'autre. Et que les autres dossiers étaient donc occultés.

Le Quotidien: L'éducation est donc une priorité?

Claude Meisch: Pour cette rentrée, l'État a recruté 174 fonctionnaires supplémentaires: des professeurs, instituteurs, éducateurs, pédagogues, psychologues, ainsi que du personnel administratif. C'est considérable par rapport au recrutement global de la fonction publique: 370 personnes ont en effet été recrutées en 2015 par l'État. Cela prouve que le gouvernement souhaite véritablement investir dans l'éducation. Par ailleurs, il est logique de devoir adapter différents systèmes qui n'ont plus forcément de sens aujourd'hui.

Le Quotidien: Vous attendiez-vous, lors de votre prise de fonctions, à de telles tensions avec les syndicats?

Claude Meisch: Oui, car l'éducation est l'instrument qui transformera la société de demain. Chacun a donc son opinion bien précise sur le comment y parvenir. Il est, dès lors, tout à fait normal qu'il y ait des discussions, voire des différences ou des oppositions. Ce serait même dommage qu'il n'y ait pas de débats! En tant que responsable des écoles qui comptent 10.000 enseignants, le ministère est pratiquement la plus grande entreprise du pays. Cela étant, les syndicats ont leur mission de défense des intérêts de leurs membres. Il y a parfois eu des divergences de vues, mais au final, il est important d'avoir pu trouver - dans le contexte du modèle luxembourgeois - un accord qui donne satisfaction aux deux parties.

Le Quotidien: Certains disent que le Premier ministre vous a nommé à ce ministère "délicat", parce que vous étiez solide et que vous ne lâchiez rien?

Claude Meisch: Je ne suis pas quelqu'un qui fuit le débat! Cela dit, je ne suis pas l'attaché de presse du Premier ministre. Mais je peux dire que c'était ma volonté de reprendre les responsabilités dans ce ministère. Et le Premier ministre m'a immédiatement soutenu dans cette démarche.

Le Quotidien: Dans quelle atmosphère baigne le ministère, à J-1 de la rentrée?

Claude Meisch: Grâce à cet accord, la rentrée scolaire pourra se dérouler en toute tranquillité, les directions d'établissements scolaires ayant pu s'y préparer sans craindre de nouvelles initiatives ou de manifestations syndicales. De concert avec le ministère, tous les partenaires ont pu et pourront, dès la rentrée (lire demain), se concentrer sur l'essentiel: le développement des écoles au Luxembourg et les différentes réformes à venir.

Le Quotidien: L'accord avec les syndicats est signé, encore faut-il le transposer...

Claude Meisch: Cela se fera en étroite collaboration avec les syndicats et les établissements scolaires, de façon tout à fait transparente. Les premières mesures seront effectives dès demain. Pour d'autres, il faudra encore modifier certains textes législatifs. Par ailleurs, le ministère s'est donné une année de réflexion et d'analyse pour voir comment il s'agira de réorganiser, dans la mesure du possible, les examens de fin d'études pour les classes de Ire et de 13e, en reculant leurs dates de deux semaines et en garantissant que les diplômes soient délivrés à temps, afin que les lauréats puissent s'inscrire à l'université.

Le Quotidien: Votre communication a parfois été critiquée lors du conflit social...

Claude Meisch: Notre objectif est de voir comment nous pourrons mieux communiquer et éviter ainsi de telles situations à l'avenir. Il faut trouver des moyens de communication entre les décideurs politiques, d'un côté, et les enseignants, de l'autre. Ce sera l'une des priorités de la rentrée. Hormis le lancement d'un site internet qui détaillera tous nos projets de réforme, le ministère lancera l'initiative d'une newsletter régulière à l'intention des enseignants. Par ailleurs, je ferai moi-même la tournée des 36 lycées du pays durant l'année scolaire, afin d'écouter, de discuter et de présenter les réformes. Mais j'y serai surtout pour, encourager les établissements à se développer d'une manière beaucoup plus autonome.

Le Quotidien: L'autonomie est l'un de vos grands défis pour cette rentrée?

Claude Meisch: Je suis persuadé qu'on ne peut pas gérer un système scolaire de manière hiérarchique au sommet duquel un ministre décide, alors que ses positions sont respectées à la lettre dans les salles de classe. Il faut une autre gouvernance! Pour le secondaire, il s'agit indéniablement de la voie de l'autonomie. Je suis d'avis que les lycées doivent se créer une identité propre, sans pour autant que la politique se déresponsabilise. Ils doivent avoir plus de moyens et plus de liberté pour s'organiser eux-mêmes. Pour moi, chaque élève est différent et il faut donc plusieurs modèles: la création de l'Ecole internationale de Differdange s'intègre dans cette vision.

Le Quotidien: Où en est-on dans l'affaire School Leaks (NDLR : fuite de sujets d'épreuves communes par deux enseignantes)?

Claude Meisch: La justice a été saisie et des perquisitions ont été faites. De son côté, le ministère a pris ses responsabilités en lançant une procédure disciplinaire qui court encore actuellement. Nous attendons les conclusions du ministère de la fonction publique avant de prendre les sanctions disciplinaires adéquates. Cela étant, j'ai personnellement été choqué par le fait que certaines personnes aient organisé un tel scandale pour ensuite le vendre à la presse et peut-être même à l'opposition! Puis de montrer du doigt le ministère: j'y ai décelé une réelle volonté de nuire. Et je peux affirmer que j'en ai déjà vu d'autres dans ma vie. Bref, c'est assez grave pour que je le souligne!

Le Quotidien: Vous avez détaillé, jeudi, le projet de l'encadrement multilingue dans les crèches. Mais qu'en est-il de l'exportabilite des chèques-service pour frontaliers?

Claude Meisch: Je suis très confiant sur le fait que la loi sera votée avant la fin de l'année. Nous travaillons sur l'avis complémentaire du Conseil d'État qui ne contient pas d'opposition formelle. Je rappelle que cette loi prévoit qu'un enfant, dont l'un des deux parents travaille au Luxembourg, ait droit aux chèques -service s'il fréquente une structure d'accueil respectant certains critères de qualité définis dans la loi luxembourgeoise. Une équipe de contrôleurs se chargera de voir si le concept pédagogique est effectivement respecté sur le terrain.

Le Quotidien: Ces "contrôleurs" seront-ils habilités à contrôler des structures d'accueil à l'étranger? Quelles sont les limites géographiques de cette loi?

Claude Meisch: Il n'y a pas de critères géographiques dans la loi : il faudra uniquement que l'un des deux parents travaille au Luxembourg. Une crèche établie à l'étranger qui voudra accepter le système de chèques -service devra également accepter le contrôle. Des conventions seront signées avec les crèches intéressées.

Le Quotidien: Qu'en est-il du décrochage scolaire? Vous préoccupe-t-il?

Claude Meisch: Je constate que les élèves en difficulté sont bien souvent délaissés par leurs propres établissements. Or, je rappelle notre obligation de ne pas les abandonner. D'où le projet de création d'un Observatoire du maintien scolaire afin de servir d'alerte préventive.

Le Quotidien: Dans ce cadre, le redoublement de classe est une bonne mesure?

Claude Meisch: Les derniers chiffres nous disent que le redoublement coûte 54 millions d'euros par an. Mais je ne suis pas partisan d'un système de "redoublement zéro"! Je suis par contre en faveur du développement d'un système de "remédiation" qui détecte au plus vite les élèves qui n'arriveront pas à suivre les cours. En réduisant les redoublements, nous pourrons investir dans des cours de rattrapage où seront intégrés les jeunes qui connaissent des difficultés. On y reviendra à l'occasion d'un "Sommet de la réussite scolaire" qui se tiendra à la finale l'année.

Le Quotidien: Abordons à présent la crise migratoire. Pour mémoire, des élèves albanaises scolarisées au pays avaient été expulsées en novembre 2014.Quelle avait été votre réaction?

Claude Meisch: Je me rappelle l'avoir appris par voie de presse et avoir immédiatement contacté le directeur du lycée technique du Centre. Il avait insisté sur le fait qu'un lycée n'est pas compétent en matière de droit d'asile. Et je le répète: nos écoles n'ont pas à s'ingérer dans ces affaires qui ne sont pas de leurs compétences! De plus, si jamais elles devenaient les complices d'autres instances de l'État - qui par ailleurs agissent légalement et font leur travail - elles hypothéqueraient la confiance instaurée entre elles et les familles d'élèves! J'insiste sur le fait que ni nos directeurs d'école ni nos professeurs, ou encore les agents de notre ministère, ne sont chargés de contribuer à une expulsion.

Le Quotidien: Un accord avait été trouvé afin que les enfants de migrants venus de pays dits "sûrs", tels que l'Albanie, ne soient plus expulsables pendant l'année scolaire...

Claude Meisch: Le gouvernement a été saisi par la question et il a été décidé de ne plus expulser des enfants scolarisés au pays, hors périodes de vacances scolaires. L'accord comprend aussi de ne plus expulser des familles dont les enfants sont scolarisés depuis au moins quatre ans au Grand-Duché.

Le Quotidien: Qu'en est-il des enfants de réfugiés reconnus comme tels?

Claude Meisch: Notre ministère est compétent pour créer des classes d'accueil dans les centres d'accueil et pour donner les moyens aux écoles fondamentales et secondaires de scolariser les enfants de réfugiés qui sont arrivés mardi et ceux qui arriveront prochainement. Mais cette question ne se règlera pas du jour au lendemain. Il nous faudra mobiliser des ressources tout au long de l'année scolaire. Ceci dit, nous disposons d'un mécanisme qui nous permet de réagir de manière assez flexible pour accueillir ces élèves-là. Il s'agira pour eux, dans un premier temps, de faire l'effort d'apprendre les langues du pays, pour pouvoir, ensuite, être très vite intégrés dans des classes "normales". L'objectif de notre politique est de ne pas dépasser une année de scolarisation dans les classes d'accueil. 

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