Interview de Claude Meisch avec le Jeudi

"(...)Mon message n'est pas bien passé"

Interview: Le Jeudi (Olivier Tasch)

Le Jeudi: Dans le conflit qui vous oppose aux professeurs, on se demande si vous ne les aimez tout simplement pas...

Claude Meisch: Cela n'a pas vraiment de sens parce que je n'ai pas de ressentiment envers les professeurs. Je n'ai pas fait de mauvaises expériences avec ceux que j'ai eus ou avec des enseignants que je connais. Ces derniers mois, j'ai eu des relations très constructives avec des enseignants qui ont des idées, qui s'engagent, qui veulent faire avancer les choses. Là où je pense qu'il pourrait y avoir un autre ton, une approche et une méthode différentes, c'est au niveau du dialogue avec les représentants officiels des enseignants. La confrontation est très rapide, on ne discute pas des 80% sur lesquels nous sommes d'accord, mais sur les 20% restants. Cela fait évidemment partie de la méthode des syndicats. C'est normal, ils ne sont pas là pour dire "nous sommes d'accord avec 80%" mais plutôt pour dire "nous en voulons plus, nous voulons 90%".

Le Jeudi: On a tout de même la sérieuse impression que vous ne vous entendez pas. Preuve en est avec les procédures de conciliation et de médiation...

Claude Meisch: C'est ce qui ressort dans l'opinion publique et si on pense que je n'aime pas les profs, alors j'ai un problème. Je n'ai pas fait tout ce qu'il fallait pour expliquer que ce n'est pas le cas. Mais il y a 10.000 profs, il y a les uns et les autres, c'est comme les journalistes ou les banquiers. Une chose est sûre, mon message n'est pas bien passé.

Le Jeudi: Et quel est ce message?

Claude Meisch: Nous ne voulons pas réformer l'école de manière arbitraire, en imposant une vision. Il y a bien un objectif fixé mais c'est aux enseignants de nous dire comment ils veulent y arriver. Nous leur faisons confiance, notre rôle est d'assurer le contrôle, d'évaluer les objectifs atteints; le tout dans la discussion. La gouvernance du système ne fonctionnera pas avec un modèle hiérarchique. Entre les instructions données par ma prédécesseur ou par moi-même et la réalité sur le terrain, il y a une grande différence... Je pourrais fonctionner à coup de procédures disciplinaires, mais ce n'est pas le but. Depuis vingt ou trente ans, une guerre de l'éducation est menée parce que chacun est convaincu que son modèle d'organisation est le bon. Moi je pense qu'il y a plusieurs modèles qui sont bons pour le pays parce que nous avons des élèves très différents. Nous ne voulons donc pas d'un modèle unique. Nous visons les objectifs qui sont de bien encadrer les jeunes et que chacun puisse développer le maximum de son potentiel. Comment y arriver? Cela peut varier selon les écoles.

Le Jeudi: Le conflit avec les professeurs est né d'une mesure d'économies. On vous reproche d'ailleurs de privilégier l'aspect financier au contenu...

Claude Meisch: Tout comme les syndicats doivent défendre les intérêts de leurs membres, le ministre a aussi ses obligations. Pour moi c'est, sans conteste, de faire avancer l'école. Mais aussi d'obtenir les ressources pour y parvenir. Un ministre doit se confronter à la réalité budgétaire et en tirer le meilleur. L'éducation est un domaine dans lequel les investissements nécessaires sont colossaux. Il y a la création d'un institut de formation, la formation continue, la petite enfance, les différents modèles d'école... Il est prévu d'engager 200 enseignants chaque année, et pas pour compenser les départs à la retraite. Ce sont des postes supplémentaires. Tout cela est possible si les ressources suivent. Lors des examens de fin d'études, les enseignants ne travaillent plus avec la classe, ils ne seront plus payés pour cela et nous investirons cet argent ailleurs.

Le Jeudi: La manière dont cela a été formulé a heurté...

Claude Meisch: Sans doute qu'aujourd'hui, on choisirait une autre formulation... Je m'attendais à un peu plus de discernement

Le Jeudi: Les professeurs disent également être triplement frappés par le paquet d'avenir: En tant que citoyens, fonctionnaires et enseignants.

Claude Meisch: Il faut nuancer cela. Il y a aussi une mesure dans le paquet d'avenir qui concerne tous les fonctionnaires, sauf les enseignants. Prétendre qu'ils doivent se saigner plus que les autres est un mythe. Ça fait bien en termes de communication. Mais si on se montre sincère et que l'on pose une comparaison, alors il s'agit aussi de justifier une série d'avantages que les autres n'ont pas. Quand on dit qu'on ne veut pas être plus touché que les autres, on se doit de regarder les deux faces de la médaille. Si les autres n'ont pas ces avantages, ne devrais-je pas être prêt à les abandonner?

Le Jeudi: C'est précisément cela qui irrite les enseignants. Ils ont l'impression que vous voulez supprimer leurs acquis.

Claude Meisch: Le paquet d'avenir n'est pas spécifique à l'Éducation. Notre obole représente trois millions par an, c'est symbolique. Évidemment, personne n'aime le paquet d'avenir, chacun doit céder un petit quelque chose. On ne peut pas demander à chacun de le faire, les enseignants exceptés, alors --que, précisément, nous devons massivement investir dans l'école pour la renforcer. Quand, dans le fondamental, il est dit qu'il faut plus de spécialistes pour les enfants à besoins spécifiques c'est totalement vrai. Mais il ne suffit pas de dire: "On a besoin de ceci ou de cela." Ma responsabilité est de trouver les moyens pour le faire.

Le Jeudi: La levée de boucliers est pourtant là...

Claude Meisch: Je savais que ce ne serait pas facile, mais je m'attendais à un peu plus de discernement. J'ai sans doute mal évalué le point de vue des enseignants. Nous aurions dû montrer plus de sensibilité dans nos formulations. "Ne payer que les heures qui sont travaillées": de manière factuelle, c'est juste mais ça ouvre la porte à toutes sortes d'interprétations. En particulier à l'école où il y a beaucoup de malentendus, d'insinuations à l'égard des enseignants. Il n'est donc pas seulement question de cette mesure, il y a un malaise général, un fossé entre écoles et enseignants d'une part et le reste du pays d'autre part.

Le Jeudi: Comment le combler?

Claude Meisch: L'enseignant perd parfois de vue ce qui n'est pas spécifique à l'école et le reste du pays n'a pas toujours une bonne appréhension de ce qui s'y passe au quotidien. D'aucuns parlent sans réfléchir de l'école et du métier d'enseignant, ont tout type de préjugés. Ils feraient mieux de s'interroger sur ce qu'est l'école aujourd'hui. Un effort est nécessaire des deux côtés. L'école ne doit pas être un monde à part. Elle a une fonction sociétale. Elle doit préparer les jeunes à s'intégrer dans la société, à trouver un job, à comprendre le monde en tant que citoyens, à appréhender leurs responsabilités, à se forger une opinion. Et tout cela est impossible en vase clos. Des acteurs extérieurs à l'éducation doivent siéger au Conseil national des programmes, lequel doit définir ce que doit savoir ou pouvoir une jeune personne. Cela, avant qu'une commission des programmes - composée d'enseignants spécialisés - définisse le détail des cours. Sans cela, on obtient une vue trop orientée sur l'école elle-même, trop académique, et pas assez axée sur la réalité.

Le Jeudi: L'école est-elle réellement réformable?

Claude Meisch: Je suis convaincu que oui. Mais ce n'est pas possible avec un ministère qui décide seul de la marche à suivre. Il faut une autre gouvernance, nous y travaillons. Elle existe déjà en partie dans le fondamental. Les écoles peuvent se donner une orientation, établir un plan de réussite scolaire, distribuer elles-mêmes des ressources, décider des effectifs. Il est des domaines sur lesquels elles sont plus à même de juger. Evidemment, il y a derrière cela une évaluation du ministère, une culture du "feedback" à instaurer, une analyse critique des résultats. Lesquels ne me laissent pas indifférent. L'école doit y être confrontée et mise devant ses responsabilités. Il me semble que c'est bien plus efficace de travailler ainsi que de décréter d'en haut. C'est une culture que nous voulons renforcer dans le fondamental et développer plus fortement dans le secondaire. D'ailleurs pour la réforme du lycée, Mady Delvaux a beaucoup bataillé avec les syndicats sur le tutorat. Aujourd'hui, cela fonctionne. Parce que les enseignants, avec leur direction, ont constaté qu'il y avait un souci sur l'encadrement à la maison et que l'école, dès lors, devait assumer une nouvelle tâche. La moitié des lycées du pays l'ont donc mis en place. Mais si le ministère proposait le tutorat dans tous les lycées, les syndicats, évidemment, seraient dans leur rôle et exigeraient immédiatement des compensations. J'ai conscience qu'on ne peut pas demander sans cesse des adaptations sans mettre les moyens à disposition. Mais je remarque aussi que les enseignants, sur le terrain, sont beaucoup plus en avance. Aujourd'hui, on ne peut pas uniformiser le tutorat au niveau national et mettre à terre ce qui tourne déjà depuis trois ans. On ne créerait que de la démotivation. Nous voulons définir des objectifs clairs avec une démarche d'orientation, mais chaque école doit le faire à sa manière, selon ses élèves et les formations qu'elle propose. Le ministère pose le cadre, fait le contrôle, l'évaluation, informe mais n'impose pas chaque détail. Ce qui ne veut pas dire que la politique ne doit pas prendre ses responsabilités. Mais je pense qu'on peut aller plus loin et que l'école sera plus réformable, si les détails sont discutés dans les établissements et pas au ministère.

Le Jeudi: D'ailleurs, où en est la réforme du secondaire?

Claude Meisch: Le Conseil d'Etat a relevé un problème avec la jurisprudence de l'article 32.3 de la Constitution. En somme, chaque programme d'école devrait faire l'objet d'une loi, ce qui est impensable. Je veux de l'autonomie pour les écoles. Je suis prêt à déléguer des compétences du ministère aux écoles. Je peux envisager que les lycées aient une certaine autonomie pour leurs programmes. Le ministère établirait un programme cadre avec la flexibilité que cela supposerait pour les établissements. C'est aujourd'hui impossible à cause de cette interprétation de la Constitution.

Le Jeudi: Rien n'est donc possible sans cette modification de la Constitution?

Claude Meisch: Bien sûr que si! La nouvelle démarche d'orientation est un élément de cette réforme. Cela touche aussi aux structures des écoles. La section sociale dans I'EST (NDLR: Enseignement secondaire technique) a été créée. Une section en sciences naturelles est en projet dans trois lycées. Nous réalisons des éléments de la réforme avec les moyens dont nous disposons. Ce n'est donc pas comme si rien ne se passait.

Le Jeudi: Quel niveau faut-il exiger pour l'allemand et le français au lycée?'

Claude Meisch: Il y a cette culture très développée dans I'ES (NDLR: Enseignement secondaire), qu'au travers d'une langue est également transmise une culture. Il n'y a pas seulement la langue, mais aussi la littérature et cela ne doit évidemment pas être perdu. Avec les enseignants qui se sont fortement engagés contre la réforme du lycée, pour ce qui est de I'ES en particulier, le consensus est possible. La réflexion de Mady Delvaux était de dire qu'il faut donner aux élèves quelque chose qui puisse leur ouvrir les portes des universités à l'étranger. C'est vrai que l'élément de culture générale est ici dilué. Il faut donc trouver le bon équilibre entre culture générale et certification du niveau de langue. L'aspect "utilitariste" doit être pris en compte parce qu'il est nécessaire. Si un élève veut aller étudier en Angleterre, on ne regardera pas s'il est expert en littérature mais s'il a le niveau de compréhension de la langue. Nous devons donc donner la certification selon le cadre européen commun de référence pour les langues.

Le Jeudi: Le projet d'Ecole européenne publique à Differdange n'est-il pas un constat d'échec pour l'école luxembourgeoise sous sa forme actuelle?

Claude Meisch: Je ne crois pas que nous puissions trouver LE modèle, même avec un lycée réformé. Il faut plusieurs modèles. Nos élèves sont très différents tout comme leurs attentes. Nous avons des jeunes qui fonctionnent très bien dans le système actuel. Pourquoi en priver ceux qui s'en sortent aisément avec trois langues? L'Ecole européenne est une alternative, avec une haute qualité de multilinguisme, mais plus variable pour ce qui est du niveau des langues. Il ne doit pas être au niveau exigé dans le lycée luxembourgeois. Il y a aussi un choix des matières "à la carte" entre les filières francophones et anglophones qui seront proposées.

Le Jeudi: Quel est le profil des élèves destinés à cette nouvelle école?

Claude Meisch: On peut évidemment imaginer qu'un élève d'origine portugaise, ayant des difficultés en allemand, pourra ainsi se libérer de cet obstacle. Il saura "se débrouiller" dans la langue de Goethe sans qu'on exige de lui qu'il sache analyser Faust.

Le Jeudi: Pourquoi ne pas proposer une filière portugaise?

Claude Meisch: Ce n'est pas un devoir central de l'école publique.

Le Jeudi: Mais pour l'anglais, pas de souci?

Claude Meisch: Le monde du travail - et en particulier la Place financière - en atteste. Ce qui est dommage c'est que la langue portugaise, qui est la langue maternelle de certains élèves, ne puisse pas être développée par l'école. Avec l'Ecole européenne de Differdange, c'est la première fois que l'on donne une réponse à ce problème au sein de l'école publique. La langue portugaise sera proposée comme deuxième langue, aussi bien dans le fondamental qu'au lycée. C'est une valorisation de cette compétence dont disposent ces élèves par rapport aux autres. Il faudrait, quelque part aussi, certifier la compétence orale en portugais dans les bilans du fondamental. On fait comme si cela n'existait pas. On souligne que l'élève ne maîtrise pas correctement l'allemand mais on oublie qu'il parle une autre langue, que ce soit le portugais ou le serbocroate... Il faut que cela change.

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