Interview de Claude Meisch avec le paperjam

"(...)Il faut redéfinir le projet de ce gouvernement(...)"

Interview: paperjam (Jean-Michel Hennebert)

paperjam: Monsieur Meisch, l'année scolaire écoulée a été marquée par un conflit ouvert avec les enseignants du secondaire. Une opposition qui a donné lieu à des échanges musclés, lesquels pourraient aboutir à une grève en octobre prochain. Estimez-vous que tout a été tenté pour éviter cette situation?

Claude Meisch: Nous sommes toujours en train de discuter dans le cadre de la médiation. J'ai présenté dans ce sens de nouvelles propositions pour avoir plus de matière sur la table et pour pouvoir trouver une solution. Nous discutons depuis le mois d'octobre, car cette réforme fait partie du Zukunftspak, destiné à faire des économies pour équilibrer le budget de l'État. Je crois donc qu'un arrangement est toujours faisable, car à deux reprises nous avions un accord avec les syndicats. Avec de la volonté des deux côtés, un accord est toujours possible. J'ai fixé une date limite au 31 juillet prochain pour savoir s'il y aura une grève ou non.

paperjam: Sachant que ce sont désormais les vacances scolaires, cet agenda est-il encore réaliste?

Claude Meisch: Je le crois, car tout est sur la table. Nous sommes disponibles du matin jusqu'au soir et même la nuit s'il le faut. Nous avons trois rendez-vous auprès du médiateur la semaine prochaine, ce qui me fait dire que c'est tout à fait réaliste. Ce n'est pas un nouveau dossier. On ne va pas renoncer à notre objectif de participation solidaire aux économies de l'État maintenant.

paperjam: Si la médiation échoue, la grève sera inévitable. Ce serait alors votre deuxième mouvement depuis votre entrée en fonction, après celui sur les bourses étudiantes. Pensez-vous donc être la bête noire des élèves et des professeurs?

Claude Meisch: En tant que ministre, je dois prendre mes responsabilités et ne pas me cacher derrière l'un ou l'autre dossier. Même si cela ne me permet pas de devenir la star des sondages. Cela ne veut pas dire que dans d'autres dossiers, on ne peut pas très bien travailler avec les syndicats. C'est le cas notamment pour les nouveaux bilans dans le fondamental. Cela montre qu'il y a des conflits ponctuels.

paperjam: Parmi les critiques émises par les enseignants, votre image de ministre à la position supposée intransigeante, voire condescendante. Que répondez-vous à cela?

Claude Meisch: Je suis parfois très fixé sur les grandes orientations, sur les objectifs à atteindre. Mais de l'autre côté, je suis aussi très flexible sur les chemins pour y parvenir. Quand il y a obligation dans le cadre du Zukunttspak de faire des économies pour pouvoir investir, on ne peut pas négocier ce principe. Chacun doit faire son apport. Après, sur la manière dont chacun contribue au rééquilibrage des finances publiques, je suis ouvert aux propositions.

paperjam: Sur le fond, l'idée de votre réforme est de tenter d'améliorer le système éducatif luxembourgeois, régulièrement pointé du doigt au niveau international. Pourquoi cela bloque-t-il?

Claude Meisch: C'est très très difficile de réformer un système éducatif dans une méthode 'top-down', où le ministre décide et les enseignants doivent exécuter. Les enseignants sont des gens intelligents, qui ont vraiment choisi ce métier, qui travaillent tous les jours dans les salles de classe et qui voient ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas. Je crois donc qu'il faut utiliser cette connaissance, cette expérience, cette force d'innovation. Selon moi, il faut aller dans les établissements, peut-être y fixer des objectifs et peut-être obliger à faire telle ou telle chose, mais aussi laisser aux enseignants la liberté sur la méthode à utiliser pour y parvenir.

paperjam: Cela signifie donc que le potentiel des enseignants a été jusqu'à présent mal exploité au vu des comparaisons internationales?

Claude Meisch: En ce qui concerne Pisa et les autres études, c'est bien d'y participer pour avoir un retour objectif sur nos performances. Mais il faut regarder aussi les spécificités de notre système, avec un taux d'immigrants très élevé et avec 60% d'élèves qui ne parlent pas la langue du pays, une langue toujours importante au moins pour l'entrée dans notre système scolaire. C'est une situation que l'on ne peut pas comparer à d'autres pays. La Finlande, très souvent présentée comme le bon élève des études Pisa, n'a rien à voir avec le Luxembourg, aussi bien en termes de taux d'immigration ou de situation linguistique. Ça ne doit pas être compris comme une excuse pour ne pas mieux faire, mais c'est un peu trop facile de regarder le classement et de dire si le travail a été bien fait ou non. Mais je crois qu'avec une autre gouvernance du système, on peut s'améliorer. Au cours des 20 ou 30 dernières années, les débats portaient sur l'école idéale pour le Grand-Duché. Mais cette école idéale n'existe pas. Car une dizaine, une quinzaine ou une vingtaine d'écoles idéales existent pour le Grand -Duché. C'est pour ça qu'on veut diversifier l'offre scolaire, donner plus de libertés aux établissements et avoir quelques modèles, les uns à côté des autres pour donner plus de choix aux enfants et aux parents.

paperjam: Le malaise au sein du corps enseignant semble profond, alors même que plusieurs réformes ont été menées. Quelles en sont, selon vous, les raisons?

Claude Meisch: Il y a plusieurs phénomènes qui entrent en jeu et que j'ai constatés en reprenant ce ministère. Le premier tient dans la méfiance très forte du corps enseignant par rapport au ministère. Et pourtant, nous avons les mêmes responsabilités, nous travaillons pour les mêmes élèves. À côté de cela, il faut donner la possibilité aux enseignants de s'investir pour qu'ils mènent leur propre réforme dans leur établissement. Et c'est déjà une réalité aujourd'hui.

paperjam: Pouvez-vous comprendre que l'autonomie que vous souhaitez soit perçue comme un changement des acquis? Comme des tâches supplémentaires à réaliser?

Claude Meisch: Pour les projets que je connais, ils relèvent tous d'initiatives personnelles. Ces projets ne manquent pas de moyens et ne font pas l'objet de demande de rémunération supplémentaire. Les enseignants font ça parce qu'ils voient un problème et qu'ils croient en leur solution. Ils veulent aider les élèves. Beaucoup d'enseignants ne comptent pas leurs heures, beaucoup d'enseignants font beaucoup plus que ce que ne demande le ministère ou leur direction et beaucoup vivent pour ce métier. L'opinion publique ignore parfois la tâche des enseignants et a en tête que la fonction n'est pas mal payée, qu'il y a beaucoup de temps libre et que les enseignants ne sont pas vraiment intégrés dans une hiérarchie. Mais encore une fois, la grande majorité de ces enseignants fait plus que ce qui est demandé.

paperjam: Le taux d'échec de 60% au concours d'entrée à l'école fondamentale l'an passé ne joue-t-il pas en faveur de ce cliché?

Claude Meisch: Les résultats de l'an passé sont une exception. Cette année, les résultats sont normalisés. Au lieu d'avoir deux tiers d'échec, nous avons eu deux tiers de réussite, ce qui correspond à la tendance des années précédentes. Mais j'ai constaté avec les étudiants qui souhaitent devenir enseignants une certaine mentalité qui consiste à penser qu'ils sont presque engagés comme fonctionnaires. Et donc, ils ne veulent plus avoir de test, devoir passer un concours ou avoir de stage à faire. On ne retrouve pas cette mentalité dans d'autres métiers. Or, on n'en finit jamais d'apprendre, même quand on a un diplôme en poche. Aujourd'hui, 60% des élèves ne parlent pas luxembourgeois à la maison. On avait une tout autre situation 20 ans plus tôt, mais une grande partie de nos enseignants du fondamental ont été formés à cette époque sans être préparés à la situation d'aujourd'hui. Il faut donc toujours se réinventer, toujours se maintenir au niveau pour répondre aux besoins des élèves. Et c'est justement l'un des points qu'il faut encore discuter avec les enseignants pour investir dans la formation continue.

paperjam: Pour tenter de changer la donne, vous avez présenté le programme Digital 4 Education. Ce dernier vise à former les élèves aux métiers ICT. Quels en sont les objectifs?

Claude Meisch: Ce n'est pas une réforme en tant que telle, c'est plus un processus, une méthode. L'école a tendance à se regarder elle-même. Mais ici, pour développer la stratégie Digital Létzebuerg, l'école doit réagir et fournir plus de main-d'oeuvre qualifiée pour ces métiers. L'objectif est de mieux former les jeunes afin qu'ils aillent dans ces entreprises et qu'ils deviennent des citoyens responsables, capables de discerner ce qui est bon de ce qui est moins bon dans la technologie. Il faut aussi donner le goût à ces matières, car s'il n'y a pas eu à un moment donné une ouverture pour tenter de faire comprendre comment un ordinateur fonctionne, comment programmer ou autre, ça ne nous aide pas.

paperjam: L'un des aspects du projet est la mise en adéquation de l'enseignement avec le besoin des entreprises. Or le monde de l'éducation semble parfois déconnecté. Comment y remédier?

Claude Meisch: L'école se concentre trop sur elle-même. C'est un constat. Je veux donc créer des ponts, des relations entre l'école et les entreprises, vers le secteur économique, le secteur social ou le secteur culturel. En tant qu'école, nous avons un rôle dans la société et il faut bien comprendre comment fonctionne cette société, quels sont ses besoins pour pouvoir y répondre. Pour parvenir à lier les deux, nous pouvons nous baser sur notre expérience dans le domaine de la formation professionnelle. Nous avons donc besoin d'une structure qui fasse le lien entre les diplômes délivrés et les besoins des entreprises. Ce rôle sera assuré par le Conseil national des programmes qui sera composé de représentants de la vie économique, de la vie sociale et de la vie culturelle.

paperjam: Parlons un peu de l'enseignement supérieur: quid de l'école de médecine?

Claude Meisch: On est toujours dans une phase d'analyse du bon modèle pour le Luxembourg. Il y a un réel besoin de médecins dans le pays, car il y a très peu de jeunes Luxembourgeois ou de jeunes résidents qui font ces études. C'est un problème pour le pays qui est obligé de recruter des médecins, sinon notre système sanitaire est voué à l'échec. Ce que nous ne voulons pas, c'est créer une école qui regrouperait tous les étudiants qui ont échoué ailleurs, les professeurs qui ne sont pas embauchés ailleurs. La piste d'une collaboration dans le cadre de la Grande Région pourrait être une bonne réponse à ce défi. Rien n'est décidé, mais nous sommes en discussion avec différents acteurs et plusieurs études sur la faisabilité sont en cours, tout comme les financements. Je crois que d'ici six mois, nous pourrons donner une direction de la voie sur laquelle nous voulons nous engager.

paperjam: Un projet d'une université du sport de la Grande Région a été lancé la semaine dernière à Differdange. Qu'en est-il précisément?

Claude Meisch: C'est une idée concrète. Il s'agit d'une initiative privée qui n'est pas une concurrence pour notre université et qui peut fonctionner en complémentarité avec l'offre publique. Notre souci reste avant tout de garantir une qualité d'enseignement, c'est pour cela qu'il existe une procédure d'accréditation stricte. Là c'est un projet issu d'un grand acteur allemand actif dans l'enseignement supérieur et la santé qui souhaite proposer son produit au sein de la Grande Région. Après une analyse par un comité indépendant, la University of Health and Exercise a obtenu son accréditation et elle devrait ouvrir en septembre-octobre.

paperjam: Vous avez utilisé le terme de produit. L'Éducation est-elle devenue un bien de consommation comme un autre?

Claude Meisch: Oui, c'est une réalité. Il existe des acteurs privés qui proposent des formations pour faire des bénéfices. Le cas de Differdange est un projet qui vise à faire des bénéfices, car il y a une demande d'étudiants prêts à mettre 500 euros par semestre pour suivre telle ou telle formation. Dans ces cas-là, c'est un produit et nous avons une responsabilité. Celle de garantir la qualité. Nous ne voulons pas trop d'acteurs sur ce marché pour éviter qu'on ait une diminution de la valeur des diplômes délivrés par l'Uni.

paperjam: Après moins de deux ans au pouvoir, la coalition semble connaître des difficultés, notamment en interne, avec des dissensions entre les partenaires. À tel point qu'un remaniement est évoqué en coulisses...

Claude Meisch: Ce qui est clair, c'est qu'il faut redéfinir le projet de ce gouvernement, regagner la confiance dont une partie a été perdue à cause du référendum qui n'a pas été préparé comme il aurait dû l'être. Une partie de la confiance a aussi été perdue en raison de la mauvaise communication autour du Zukunftspak. Nous avons lancé toute une série de mesures pour réaliser ce qui était indispensable et absolument nécessaire, à savoir retrouver l'équilibre budgétaire. Mais les citoyens ne se sont pas rendu compte dans quelle situation nous étions. Nous sommes en train de perdre, en 2015, 800 millions d'euros de recettes liés à la perte de la TVA sur le commerce électronique, soit 6 à 7% des recettes de l'État. Ce n'était pas prévu et c'était du devoir de ce gouvernement de trouver une solution. Nous l'avons fait, mais elle était dure et nous ne l'avons pas bien expliquée. Les Luxembourgeois, sur le plan financier, ont été très gâtés ces dernières années et avaient l'impression qu'on pouvait changer le pays sans apport de tout un chacun. Une grande partie de la population n'était pas prête à ces changements qui n'étaient pourtant, pour chacun, pas fondamentaux à l'instar de la TVA. C'était donc indispensable et toutes les projections nous disent désormais que nous sommes en capacité de respecter toutes les normes européennes et internationales. Cela va nous garantir une indépendance complète. Nous avons voulu moderniser la société luxembourgeoise, et nous sommes encore en train de le faire, mais ma conclusion personnelle de ce référendum est que nous avons fait peur aux Luxembourgeois, car ils ne veulent pas une modernisation aussi rapide, aussi brusque.

paperjam: Concrètement, qu'est-ce que cela signifie?

Claude Meisch: Que nous avons beaucoup travaillé depuis 18 mois et nous avons donné l'impression que nous voulions tout changer. Mais nous ne voulons pas tout changer. On veut juste adapter notre fonctionnement à ce qu'on retrouve ailleurs, au mode de vie actuel qui est différent de celui d'il y a 20 ou 3o ans. Mais au final, cela faisait peur aux Luxembourgeois qui ont eu peur de ne plus se retrouver dans leur propre pays. L'un des leitmotivs des Luxembourgeois est 'Mir wollen bleiwen wat mir sinn'. Ok, mais nous, nous le voulons dans le changement.

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