Interview de Geneviève Montaigu (Le Quotidien) avec le ministre de l'Éducation nationale, Claude Meisch

"Nous n'avons aucune raison de nous excuser"

Interview: Geneviève Montaigu (Le Quotidien)

Le Quotidien: Les fuites concernant certaines épreuves pour des élèves du cycle 4.2. ont créé le scandale. Connaissez-vous les motivations des deux enseignants incriminés?

Claude Meisch: Deux enseignants ont transmis les questionnaires à des parents et des élèves, puis ont donné l'information aux médias. Ils ont provoqué, puis dévoilé le scandale. Une chose est sûre, ils ne l'ont pas fait pour manifester leur soutien à la politique du ministère de l'Éducation nationale, je pense (sourire las). S'ils avaient voulu démontrer un certain laxisme dans la préparation des questions, il existait d'autres moyens de le faire. On ne va pas pulvériser la tour Eiffel pour protester contre une défaillance de son système de sécurité. C'est grave et dramatique parce que cet acte nécessite une certaine énergie criminelle. Il faut copier le questionnaire, l'envoyer aux parents, mettre en place un site internet. Tout cela était bien réfléchi, il y avait une intention de nuire et au final ce sont les 5 000 élèves qui doivent payer.

Le Quotidien: Certains personnels de l'Éducation nationale ont pourtant haussé les épaules, affirmant que cette pratique était d'usage...

Claude Meisch: Oui, il y a des rumeurs, mais rien de précis. Concernant les deux enseignants incriminés qui ont construit ce scandale, ils ont été dénoncés au parquet et une enquête disciplinaire a été ouverte. Mais vu les rumeurs qui circulent sur cette pratique, il faudra revoir notre procédure à cause de gens qui ne respectent pas les règles de confidentialité.

Le Quotidien: Ce scandale a également provoqué une crise entre le gouvernement et le CSV que vous accusez de jouer un jeu trouble dans cette affaire. Samedi, le parti a exigé des excuses de votre part et du Premier ministre. Que leur répondez-vous?

Claude Meisch: Nous n'avons aucune raison de nous excuser. J'ai dit, vendredi, que soit le CSV avait été piégé par les auteurs de ces fuites, soit les deux députés étaient complices de la mise en scène de ces fuites. Quand on écoute les déclarations du duo Hansen-Eischen à la Chambre (NDLR: les députés CSV Martine Hansen et Félix Eischen), la question se pose. En savaient-ils ou non plus que les autres concernés par cette affaire dès le 17 mars, quand les deux députés m'ont posé une question parlementaire? En tout cas, les déclarations au Parlement le 19 mars différaient du contenu de leur question parlementaire deux jours plus tôt.

Le Quotidien: Les chargés de cours, les éducateurs et les pédagogues sociaux étaient dans la rue le jour du vote de la réforme de la fonction publique pour rappeler qu'ils avaient été oubliés. Comment allez-vous considérer leurs revendications?

Claude Meisch: Dan Kersch et moi-même avons reçu l'Association des chargés de l'enseignement national, I'ACEN, pour leur expliquer que la réforme résultait de négociations avec le gouvernement précédent. Cela ne signifie pas que les négociations sont closes en ce qui les concerne, car il y aura sûrement un nouvel accord salarial, des reclassements pour certaines carrières et nous leur avons d'ailleurs signalé que le texte contenait effectivement des incohérences. On demande un niveau bachelor pour devenir chargé de cours au secondaire, mais leur carrière n'est pas calculée en fonction de leurs qualifications. Des négociations semblent inévitables et on verra comment les deux parties se positionneront, gouvernement et ACEN.

Le Quotidien: Est-ce une priorité?

Claude Meisch: Je ne peux pas déterminer tout seul si cette question est une priorité du gouvernement, mais nous travaillons sur le dossier des chargés de cours. J'ai demandé aux directeurs de les traiter avec plus d'égards parce qu'ils ne sont pas corvéables et malléables à merci. Je veux surtout encourager les chargés de cours, pour ceux qui ont un master, à passer le concours de professeur. Certains masters ne sont pas encore reconnus pour accéder au concours de recrutement, alors nous entendons ouvrir nos critères. Aujourd'hui, par exemple, avec un master en bio-informatique, on ne peut ni participer au recrutement pour devenir professeur de biologie, ni se présenter à celui de professeur d'informatique. Il faut changer cela. Nous allons surtout donner plus de chances aux chargés de devenir professeur.

Le Quotidien: Les cours d'éducation aux valeurs, dont on ne connaît que le cadre, font déjà grincer des dents, et leurs détracteurs évoquent un cours de religion déguisé.

Claude Meisch: J'avais une tout autre impression quand j'ai lu la première proposition de ce cadre. J'y retrouve beaucoup d'éléments de l'actuel cours d'éducation morale et sociale et, bien sûr, on parle de religions. Ce programme -cadre dit qu'il y a une tradition dans ce pays à respecter qui est fondée sur les droits de l'homme mais aussi sur la religion chrétienne, on ne peut pas le nier. La religion peut expliquer le fonctionnement de notre société actuelle et il appartiendra aux jeunes d'aujourd'hui de décider de la société de demain. Cette formation essaye de les guider dans leurs choix et non de leur imposer un type de société. Mais il faut savoir d'où l'on vient pour savoir où on veut aller. Expliquer les cultures et les religions, leurs symboles et dire aux élèves que les écrits dans la Bible ou le Coran ne sont peut-être pas à prendre au premier degré, c'est nécessaire. Pour se positionner face aux religions, il faut d'abord les comprendre. Cela fait partie d'une instruction générale. J'ai l'impression que beaucoup n'ont pas bien lu non plus le programme du gouvernement dans lequel on propose de supprimer deux cours pour les harmoniser en un seul cours.

Le Quotidien: Les associations laïques pourrontelles émettre leurs propositions?

Claude Meisch: Oui, nous voulons un processus participatif. Les cultes donneront leur avis sur le contenu du cours mais également les associations laïques. D'autres souhaiteront peutêtre s'exprimer également, qui se situent entre ces deux extrêmes. Il nous faut réfléchir à la manière de donner la parole à ceux qui le souhaitent. Nous voulons analyser tous les avis.

Le Quotidien: Ce nouveau cours sera-t-il prêt pour la rentrée 2016?

Claude Meisch: Nous visons toujours ce cap, mais ce sera assez sportif. Cela dépendra des discussions que nous devrons encore mener. Mais vu les premières réactions, on peut supposer que les discussions seront longues.  

Le Quotidien: Où en sont les travaux de préparation de l'accueil gratuit et de l'introduction du bilinguisme dans les structures d'accueil?

Claude Meisch: Nous n'avions auparavant quasiment aucune prescription concernant la qualité pédagogique de l'accueil dans l'éducation non formelle. Nous avions des prescriptions sur les locaux, sur la sécurité, mais pas sur les contenus. Nous allons introduire un cadre de référence en fonction duquel chaque crèche, chaque maison relais élaborera son propre concept pédagogique qui sera contrôlé pour assurer un travail de qualité dans les structures. Les notions de communication, de créativité, de curiosité font partie de ce cadre. Mais on veut introduire surtout la prise en charge gratuite entre un et trois ans, pour mieux préparer les enfants à l'école publique. Ce ne sont pas des cours de langues, mais une stimulation aux compétences linguistiques.

Le Quotidien: Y aura-t-il une ou plusieurs méthodologies d'apprentissage retenues pour introduire le bilinguisme?

Claude Meisch:  Il y aura certainement plusieurs méthodes, vu que les structures détermineront leur concept pédagogique. Mais il ne s'agit pas de l'apprentissage d'une langue étrangère. Les éducateurs qui travaillent actuellement dans ces structures d'accueil pourront absolument maîtriser les méthodes de familiarisation avec une langue étrangère. Je veux éviter qu'à l'âge de 7 ans, quand un jeune Luxembourgeois commence à apprendre le français, il dise qu'il n'a jamais entendu cette langue auparavant. Et c'est la même chose pour un non -Luxembourgeois qui doit être familiarisé avec cette langue avant d'arriver à l'école. Nous travaillons sur le concept et ce n'est pas toujours évident. C'est innovant, nous n'avons pas de modèles qui puissent nous inspirer, étant donné que notre situation linguistique est unique. Aujourd'hui, l'éducatrice qui parle luxembourgeois encadre les petits Luxembourgeois et inversement avec les francophones. Il nous faut un mélange des deux et confronter les enfants aux deux langues.

Le Quotidien: Les éducateurs sont eux aussi dans la nie pour dénoncer une discrimination entre les nouvelles et les anciennes carrières... 

Claude Meisch: Dan Kersch (NDLR: le ministre de la Fonction publique) leur a dit qu'il ne comprenait pas cette manifestation. Il n'y a pas de nouveau calcul de toute la carrière, c'est vrai. Mais aujourd'hui, les éducateurs sont dans une certaine carrière et ce qui va changer pour eux, ce sont les points indiciaires en fin de carrière. Au final, les nouvelles et anciennes carrières seront alignées. Il y aura une période transitoire, c'est ainsi que cela a été décidé.

Le Quotidien: Quel est le dossier qui se trouve en haut de la pile sur votre bureau aujourd'hui? 

Claude Meisch: Je viens de m'entretenir longuement sur la stratégie "Digital Lëtzebuerg" en ce qui concerne l'éducation. L'école doit s'adapter aux nouveaux outils d'enseignement.

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