Claude Meisch au sujet de l'éducation et du marché de travail luxembourgeois

"Nous sommes mieux préparés qu'il y a 15 ou 20 ans"

"Cette année, même en pleine crise économique et financière, le Luxembourg a réussi à créer 1,5% de nouveaux emplois en plus. Dans les bonnes années, sommes légèrement au-dessus de 2% Les nouveaux postes créés seront surtout pour les universitaires. Nous verrons ensuite comment évolue l'économie. Nous restons à l'écoute, car l'adéquation entre les demandes et les offres d'emploi n'est pas assez stable au Grand-Duché."

Luxuriant: Six semaines seulement après sa prise de poste, le ministre répond en toute quiétude à nos interrogations et débute même notre shooting par quelques blagues : «Vous savez, j'essaie de plaisanter chaque jour ».

Vous avez donc un métier amusant ?

Claude Meisch: Pas toujours, mais j'essaie de l'exercer dans la bonne humeur (Sourire).

Luxuriant: D’ailleurs, avez-vous ri suite aux remous qui ont suiti votre départ?

Claude Meisch: Non, pas trop ... Je ne eux plus vraiment commenter les affaires communales mais le changement de position de Michel Braquet (NDLR un membre de son parti, le DP), a conduit à l'échec de la candidature du DP John Hoffmann pour me remplacer à la tête de la commune. Par extension, sa décision a annihilé la coalition entre le DP et les Verts à Differdange. J'espère sincèrement que mon successeur prendra les bonnes décisions pour continuer à revitaliser la ville. Elle a pris trop de place au sein du paysage culturel, économique et sportif pour s'arrêter en si bon chemin.

Luxuriant: Quel projet souhaitez-vous que votre remplaçant n'abandonne surtout pas?

Claude Meisch: Un sondage en 2010 mettait en exergue le fait que 40% des Luxembourgeois désiraient quitter la municipalité, faute de logements adaptés. J'ai décidé de répondre favorablement à leurs besoins en créant davantage de maisons familiales au détriment d'appartements. Il faut continuer dans cette direction.

Luxuriant: Aviez vous des solutions pour le chômage, plutôt conséquent, dans la troisième plus grande bourgade du pays?

Claude Meisch: Nous avons innové avec le 1535°C, une plateforme visant à développer la créativité artistique et l'entrepreneuriat des jeunes dans le domaine du jeu, du design, du journalisme, etc. Ils peuvent bénéficier, à moindre coût, d'un lieu adapté complètement révolutionnaire calqué sur ceux de Lisbonne ou Rotterdam. Differdange pense à son avenir sans renier son passé industriel.

Luxuriant: Le challenge de Ministre vous effraie-t-il ?

Claude Meisch: Non, j'accepte avec passion cette nouvelle responsabilité pour l'avenir du pays: réaliser le rêve de la jeunesse luxembourgeoise en leur donnant les bonnes cartes en main.

Luxuriant: Quel est votre principal défi?

Claude Meisch: Améliorer la situation particulière de notre système éducatif, notamment au niveau du contexte linguistique très compliqué. La langue luxembourgeoise a évidemment toujours sa place dans nos foyers mais elle diminue dans la majorité des familles. On parle de moins en moins luxembourgeois, surtout chez les jeunes.

Luxuriant: L'idée est-elle d'apprendre le luxembourgeois plus tôt, toujours en continuité avec l'éducation précoce instaurée en 1998?

Claude Meisch: Exactement, je souhaite que nos enfants se familiarisent avec la langue luxembourgeoise avant leur quatrième anniversaire afin d’être capables d'apprendre correctement à lire et écrire en allemand dans les petites classes. Je désire éviter les erreurs du passé, à savoir un fort échec scolaire chez des élèves pourtant intelligents, mais lésés par leur manque de maitrise en luxembourgeois. Dans la théorie, cela fonctionne, mais dans la pratique, c'est une autre histoire, surtout dans des classes où l'on trouve 19 Portugais pour un seul Luxembourgeois.

Luxuriant: Avez vous d'autres pistes pour y remédier ?

Claude Meisch: Oui, au moins deux. Une langue s'apprend automatiquement de zéro à trois ans. Il faudrait développer plus l'apprentissage du luxembourgeois dans nos crèches et nos maisons relais. Ensuite, second constat, lors de notre dernière étude PISA, nous avons remarqué que nos écoliers sont moins bons en sciences et en mathématiques que nos voisins, pas nécessairement parce qu'ils n'aiment pas ces matières mais parce qu'elles sont enseignées en français ou en allemand. Les Portugais n'aiment pas étudier en allemand et les Luxembourgeois en français. Ce système date de plus de 40 ans, période où il y avait majoritairement des Luxembourgeois sur les bancs des écoles. Il faut tout repenser et offrir plus de choix de matières dans des langues adaptées afin de déceler très tôt le talent et le potentiel de chaque élève.

Luxuriant: Par soucis d'intégration et de partage, ne faudrait-il pas davantage sensibiliser les étrangers à l’apprentissage, même partiel, du luxembourgeois?

Claude Meisch: Des cours sont déjà dispensés à l'Institut national des langues ou dans de nombreuses communes et entreprises avec la possibilité d'un congé linguistique pour des formations, le tout en relation avec la loi sur la double nationalité, qui nécessite un seuil de compétence obligatoire en luxembourgeois. Nous sommes déjà fiers que chaque personne née ici sache parler luxembourgeois à la fin de son cursus scolaire. Ce bel effort entretient une identité importante pour notre petite contrée. Nous devons pouvoir communiquer naturellement en luxembourgeois.

Luxuriant: Et l'écrire aussi facilement?

Claude Meisch: C'est moins préoccupant (rires). Moi-même, je ne sais pas réellement comment l'orthographier, même s'il existe une grammaire officielle. La priorité est d'abord le parler correctement, surtout dans un cadre professionnel.

Luxuriant: Pas de langue luxembourgeoise pour les frontaliers?

Claude Meisch: Ce n'est pas très urgent, car même s'ils passent la majeure partie de leur journée au Grand-Duché, ils évoluent dans un univers francophone, notamment sur la place financière. Les réunions se déroulent en français ou en anglais. Les meetings en luxembourgeois sont surtout réservés au secteur public.

Luxuriant: D'ailleurs, statistiquement, les Luxembourgeois de souche optent peu pour de longues études. Ils préfèrent s'orienter vers le public et ses gros salaires en début de carrière. Par conséquent, le secteur privé est obligé d'importer ses cadres diplômés ou de les piocher chez les immigrés de deuxième génération, qui ont plus joué le jeu des études. N'y a-t-il pas un problème à solutionner?

Claude Meisch:  Je partage votre analyse, sans généraliser, même si l'appel de la fonction publique est très attrayant pour un jeune bachelier (sourire). Avec la nouvelle faculté de Belval, nous allons pouvoir produire des universitaires luxembourgeois disponibles pour le marché local de l'emploi. Nous devons orienter les jeunes vers des formations avec des gros diplômes à la clef et bousculer les vieilles traditions.

Luxuriant: Les quatre facultés dont celle de Belval seront-elles capables de façonner nos futurs diplômés luxembourgeois?

Claude Meisch: Nous sommes déjà mieux préparés qu'il y a 15 ou 20 ans. J'ai suivi des études de Sciences mathématiques et économiques à Trèves à une époque où il était normal de s'exiler pour étudier à Paris, Strasbourg, Nancy, Bruxelles, Liège, etc. Aujourd'hui, l'Université du Luxembourg est une réelle opportunité pour les résidents et la Grande Région. D’ailleurs, les premiers étudiants arriveront sur le site de Belval en février 2015. Nous avions oublié de planifier les budgets pour équiper les bâtiments, particulièrement en matériel informatique, soit une enveloppe de 160 millions. Nous voterons prochainement une loi au Parlement pour soulever ces fonds.

Luxuriant: Dans votre mission d'éducation, devrez-vous mettre en place les bonnes filières pour anticiper les aléas du marché du travail?

Claude Meisch: Cette année, même en pleine crise économique et financière, le Luxembourg a réussi à créer 1,5 % de nouveaux emplois en plus. Dans les bonnes années, sommes légèrement au-dessus de 2 % Les nouveaux postes créés seront surtout pour les universitaires. Nous verrons ensuite comment évolue l'économie. Nous restons à l'écoute, car l'adéquation entre les demandes et les offres d'emploi n'est pas assez stable au Grand-Duché. Nous manquons, par exemple, d'ingénieurs et devons aller les chercher en Grande Région. Si nous voulons sauver l'industrie, nous devons réagir vite.

Luxuriant: Vous ne croyez plus en l'avenir de la place financière luxembourgeoise ?

Claude Meisch: Bien sûr que si, mais nous devons y apporter des changements. Suite à la levée du secret bancaire, certaines banques, pas les plus irréprochables, quitteront le pays. Cependant, pas de panique, nous accentuerons nos compétences sur le private banking et la gestion de fonds.

Luxuriant: Travaillerez-vous main dans la main avec d'autres ministères ?

Claude Meisch: Avec le ministre du Travail et de l'Emploi, nous tenterons d'identifier les besoins du marché. Nous couplerons également ces informations avec le Ministre de l'Economie pour savoir si une entreprise planifie de s'installer chez nous afin de proposer, avec réactivité, des formations spécifiques à nos demandeurs d'emploi. Amazon s'est installé il y a 10 ans dans le Grund pour créer six postes. Aujourd'hui, ils sont 600 employés dans la capitale (rires). Nous sommes un pays très petit et sommes donc capables de réagir très vite. Nous avons perdu l'habitude d'être les premiers à innover. Nous allons redevenir flexibles et accessibles.

Luxuriant: C'est la fougue de votre jeunesse qui parle?

Claude Meisch: Je ne suis plus si jeune, c'est du moins le constat que je me fais chaque matin au réveil (sourire). De plus, la jeunesse n'est pas forcément une qualité, il faut la coupler avec l'expérience. Avec ce nouveau gouvernement, nous sommes dans la quarantaine et souhaitons reprendre les choses en main. C'est aussi le message de ce changement de gouvernement.

Luxuriant: Dernière question : être instituteur au Luxembourg est-il toujours un bon plan?

Claude Meisch: Je connais beaucoup d'instituteurs qui donnent énormément pour leur métier et les enfants. C'est une vraie vocation. Ensuite, comme dans toutes les professions, certains sont plus motivés par le salaire, les vacances et autres avantages. Rappelons que c'est un travail compliqué dû à la situation linguistique complexe.

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